Étapes de la rééducation (Théorie)

Dans l’attente d’un prochain article sur les étapes de la rééducation, nous publions avec l’accord de Marc Leblanc, un extrait de l’article “Les étapes de la rééducation : formalisation et vérification ”.

Cet article écrit par Marc Leblanc et Bernard Tessier en 1978 peut également être retrouvé dans la bibliothèque numérique : Les classiques des sciences sociales

Introduction

Une innovation majeure dans le domaine de la rééducation, comme le montre Cusson (1974), est le développement, par Boscoville et ses animateurs, de la théorie des étapes de la rééducation qui permet d’orienter et de contrôler l’évolution du jeune délinquant pendant le processus de rééducation. Si l’idée d’étapes de rééducation avait été perçue par Makarenko, Aichhorn, Redl et Bettelheim, il en revient à Gilles Gendreau et à ses collaborateurs de Boscoville de l’avoir concrétisée et appliquée et à Jeannine Guindon (1970) de l’avoir formalisée en théorie.

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La théorie des étapes

La théorie des étapes, comme toute théorie du développement, postule un passage graduel d’un état d’équilibre rudimentaire à un état d’équilibre supérieur. Et comme le montre Guindon (1970), le processus de développement n’est pas une croissance quantitative continue mais plutôt une suite de phases discontinues et qualitativement distinctes. Chaque phase, chaque étape est un stade, un nouvel équilibre ; en fait, chaque étape est une structure d’ensemble qui découle logiquement de la précédente.

Guindon (1970) nous dit qu’à chaque étape, l’organisation du moi est remise en cause sur les plans de la configuration du passé et du futur, des capacités de se confronter avec de nouvelles tâches et situations, de la combinaison des pulsions et défenses et du rayon des rencontres significatives.

Conformément à ce cadre théorique, le processus de rééducation devient une démarche d’acquisition de l’autonomie (Tessier, 1974), et les étapes du processus de rééducation peuvent être conçues comme un ensemble de buts à court terme qui sont proposés aux jeunes afin de les faire participer progressivement à leur rééducation (Cusson, 1974). Le processus de rééducation, tel que vécu à Boscoville, devient donc un modèle d’évolution en quatre étapes : acclimatation, contrôle, production et personnalité (Gendreau, 1964 ; Guindon, 1970).

1. L’étape acclimatation

À l’étape acclimatation, on y propose un programme d’action dont le but principal est d’apprendre à utiliser les divers moyens mis à la disposition du jeune pour lui permettre d’atteindre, à brève échéance, un but proposé.

Il faut comprendre le terme « moyen » dans un sens très large. Il s’applique aussi bien aux personnes, éducateurs et pairs, présentes dans les diverses situations de vie, qu’aux instruments ou aux procédures à utiliser ; de même qu’au temps et à l’espace mis à la disposition du jeune.

La démarche d’apprentissage est graduée de façon à proposer des défis essentiellement surmontables. C’est ainsi que dans les trois premières phases, les buts à atteindre sont proposés par le programme et que la démarche d’autonomie est particulièrement orientée sur la maîtrise des moyens, leur sélection et la planification de leur utilisation.

À la première étape, on commence par acclimater le jeune à l’institution, à lui faire accepter le fait que Boscoville est un milieu de traitement. On doit faire admettre au jeune qu’il a besoin d’aide et que Boscoville peut répondre à ce besoin (Tessier, 1970). Par la suite, il convient de faire en sorte que le jeune soit dans l’impossibilité de continuer son agir délinquant pour qu’il puisse vivre en harmonie avec le milieu (Cusson, 1974). Finalement, le jeune doit faire l’expérience d’une réussite pour lui permettre de faire le lien entre ce qu’il fait et les conséquences de son action (Guindon, 1970).

2. L’étape contrôle

Alors qu’à l’étape acclimatation on maîtrise l’utilisation ou le maniement des divers moyens, à l’étape contrôle on propose une démar-che d’apprentissage de sélection de moyens appropriés pour atteindre un but proposé, tout en prenant conscience du rôle personnel joué dans la production des résultats atteints.

En corollaire de cet objectif, le jeune devra apprendre à respecter le milieu où il se trouve, ce qui exigera un effort de conformité envers les réalités du milieu (Tessier, 1970). Il devra aussi s’intégrer au groupe grâce à une maîtrise de ses actes et à une capacité de répondre aux attentes des autres membres du groupe. Cette intégration assure les conditions nécessaires à l’intériorisation progressive des contrôles personnels (Guindon, 1970).

Le jeune aura atteint le stade du contrôle dans la mesure où les acquisitions suivantes seront consolidées : comportement en accord avec la tradition rééducative du milieu et les moeurs du groupe, sélection de moyens adéquats pour atteindre les buts des diverses activités, percep-tion de l’éducateur comme une autorité sécurisante.

3. l’étape production

Maintenant que le jeune peut choisir judicieusement les moyens appropriés pour atteindre un but, il s’engagera dans l’apprentissage de la planification à longue échéance pour la poursuite des buts proposés, tout en tenant compte de l’ensemble des éléments personnels et so-ciaux qui constituent son expérience de vie totale.

Le jeune de l’étape production acquiert donc une méthode de travail, il utilise le milieu et ses ressources pour atteindre des résultats concrets. La découverte de sa compétence et du sentiment d’efficacité permettra donc au jeune d’envisager son avenir. Cette étape est aussi marquée par le rapprochement du jeune et de l’éducateur et le choix d’amis qui ont les mêmes orientations et aspirations (Cusson, 1974). L’éducateur devient alors un ami, un homme dont on admire la com-pétence ; celui avec qui l’on pourra s’identifier.

4. l’étape personnalité

À l’étape personnalité, le jeune réalise et accepte qu’il n’est plus et ne sera jamais le même que celui qui arrivait à l’institution (Tessier, 1970). Maintenant, il a la maîtrise de lui-même et de l’environnement. Il peut se servir de sa capacité d’utiliser, de sélectionner et de planifier en fonction de l’exercice d’une créativité à tous les niveaux dans la poursuite des buts proposés ou personnels, il devient maintenant ca-pable de créer des moyens nouveaux à partir des acquis déjà réalisés ; ou bien d’appliquer les acquisitions préalables à des situations nouvel-les. En même temps, la sélection des buts à poursuivre relèvera de son entière responsabilité et son choix sera essentiellement guidé par ses options de vie personnelle. Pendant cette période, l’accent est mis sur les options fondamentales, les valeurs et l’avenir (Cusson, 1974).

Les théories des étapes du processus de rééducation proposent donc un modèle d’action centré sur des buts généraux atteignables à travers un cheminement individualisé. Voyons maintenant comment cette théorie peut nous permettre de formuler des indicateurs d’étapes qui permettront de situer le jeune dans son évolution pendant la ré-éducation.

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Bibliographie:

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CUSSON, M. (1974), la Resocialisation du jeune délinquant, Montréal, Presses de l’Université de Montréal.

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GENDREAU, G. (1974), les Étapes de rééducation d’après l’expé-rience de Boscoville, Conférence présentée à l’Université de Montréal (inédit).

GUINDON, J. (1970), les Étapes de la rééducation, Paris, Fleurus.

GUTTMAN, L. (1950), « The basis for scalegram analysis in S.A. Stouffer et al ». Measurement and prediction, Princeton. Princeton University Press, pp. 60-90.

LEBLANC, M. (1971), Analyses quantitatives, Montréal, École de criminologie.

LEBLANC, M., TESSIER, B. (1975), Indicateurs d’étapes, Éva-luation de Boscoville, Rapport technique no 10. G.R.I.J., Université de Montréal, 55 p.

MARANELL, G.M. (1974), Scaling : a source book, Chicago : Aldine, Ille partie.

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SUMMERS, G.F. (1970), Attitude measurement, Chicago, Rand McNally.

TESSIER, B. (1970), l’Évaluation de la relation rééducative dans le processus de rééducation, Montréal, Boscoville.

TESSIER, B. (1971), Cahiers des procédures de travail clinique, Montréal, Boscoville.

TESSIER, B. (1974), The psycho-educative model in action, Montréal, École de psycho-éducation, Université de Montréal, document de travail no 41.

WOHLWILL, J.F., (1974), The study of behavioral development, New York, Academic Press.

ZEMAN, Z. (1974), Toward the development of, a reeducation index, Montréal, Groupe de recherche sur l’inadaptation juvénile.

Compléments

Article complet mis à disposition par « Les classiques des sciences sociales »

Comment citer

Leblanc, M., Tessier, B., (1978) Les étapes de la rééducation : formalisation et vérification. Criminologie, 11(1). Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal.

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